Hector Berlioz | Biographie |
Parmi les têtes d'affiche du romantisme français au 19e siècle, on retrouve Eugène Delacroix, peintre de harems et de massacres; Victor Hugo, auteur des Misérables et du Bossu de Notre-Dame; et Hector Berlioz qui, suivant le conseil de son premier professeur, poursuivit l'utilisation d'effets babyloniens dans sa musique. Tous eurent un grand impact sur leurs contemporains. Dans le cas de Berlioz, l'extravagance de ses idées et son imagination orchestrale sans précédent infiltrèrent le reste du siècle. Berlioz possédait un sens hyperbolique de la musique. De telles effusions caractérisèrent sa vie et son œuvre. Pas surprenant que Berlioz fut le premier compositeur à écrire ses mémoires car tout vrai romantique est aussi un poseur. Tout ce qui a été écrit sur son contemporain Hugo s'applique aussi à Berlioz – son égocentrisme, ses amours délirantes, sa croyance dans le progrès et même les vulgarités et la banalité de certaines de ses œuvres. C'était un temps où l'on s'attendait à ce que les artistes soient immodérés, libertins et frisant l'insanité. En d'autres mots, la personnalité de Berlioz était symptomatique de son époque. Afin de rester sain et de produire des œuvres valables, il devait se doser d'une touche de classicisme. Sa musique est quelquefois exorbitante sans pour autant être hors de contrôle; elle est riche et quelquefois bizarre dans son orchestration sans être bourbeuse. Dans sa musique, mais moins dans sa vie, il réalisa ses fantaisies les plus extravagantes et ce, avec des moyens très clairs et très précis. Baptisé Louis-Hector Berlioz, il est né le 11 décembre 1803, dans la ville de Côte-Saint-André, près de Grenoble. Son père était un médecin prospère et sa mère, une pieuse catholique, croyait que le théâtre et les salles de concert étaient des chemins qui menaient directement vers l'enfer. Prévu dès sa naissance qu'il suivrait les pas de son père en médecine, Hector gravita plutôt autour de la musique, apprenant la guitare et la flûte (il n'a jamais appris, ni joué le piano), s'instruisant lui-même dans les livres et en s'adonnant à la composition. À 18 ans, il était envoyé à Paris pour étudier la médecine, mais malgré les protestations de son père et les supplications de sa mère, il s'inscrivit en musique au Conservatoire de Paris. Lesueur, son premier professeur, avait été compositeur à la cour de Napoléon et il fut le premier à qualifier de "babyloniens" les effets gigantesques que produisait la musique de Berlioz et qui sans doute correspondait à son tempérament. Lesueur lui confia qu'il le considérait comme un génie et, à partir de ce temps, Berlioz n'en doutera plus jamais. Il aura comme idoles les génies du romantisme tels Beethoven, Shakespeare, Goethe, Hugo. La première œuvre importante de Berlioz sera une colossale Messe Solennelle qu'il produisit deux fois durant les années 1820. Quoique lui ayant attiré quelque attention, les dépenses pour la produire l'appauvrissèrent pour plusieurs années (un avant-goût de ce que serait sa carrière). Pour rendre les choses encore plus difficiles, après qu'il eut, à répétition, essayé et failli obtenir le prestigieux Prix de Rome octroyé par le Conservatoire de Paris, son père lui supprima son allocation. Une partie héroïque, extravagante et notoire de sa vie débuta quand il assista, à Paris, en 1827, à une représentation de Hamlet de Shakespeare. Le rôle d'Ophélie était joué par une jeune actrice irlandaise nommée Harriet Smithson. Tout au long de la représentation qui était en anglais et dont Berlioz ne comprit aucun mot, il était, à la fin de celle-ci, désespérément épris d'Harriet. La combinaison de Shakespeare et de la beauté féminine électrisèrent tellement son esprit qu'il erra toute la nuit dans un paroxysme de frustration et de désir. Pour les cinq années suivantes – jusqu'à leur rencontre – l'image d'Harriet Smithson domina sa vie. Après l'avoir assailli de lettres et ce, sans succès, il conçut l'idée de la conquérir par sa musique: il allait écrire une grande symphonie qui serait "le développement de ma passion infernale et où elle serait dépeinte." D'où la genèse du plus grand chef d'œuvre romantique de la littérature orchestrale, la Symphonie fantastique. Elle est clairement basée sur un programme autobiographique, plus tard nié par Berlioz, mais dont il faut absolument tenir compte pour en comprendre la musique. Un jeune musicien d'une "sensibilité morbide et d'une imagination ardente", frustré par l'amour, essaie de se suicider avec de l'opium. Mais, au lieu de lui donner la mort, la drogue lui procure de fortes hallucinations. Voilà ce qui constitue les cinq mouvements de la symphonie: il se rappelle lorsqu'il a vu sa bien-aimée pour la première fois et du sentiment d'amour qu'il ressentit; il la voit dansant à un bal; il se calme lors d'une scène dans les champs; il la tue et est exécuté à la guillotine; son corps devient le centre d'un rite de sorcières où sa bien-aimée apparaît en fée grotesque. Comme il ne pouvait pas se passer de l'image d'Harriet, il en est de même pour la symphonie qui est hantée par une mélodie décrite comme "idée fixe". Représentant la bien-aimée, cette mélodie revient, en déguisements divers, à l'intérieur de chaque mouvement allant d'une délicate présence lyrique au premier mouvement jusqu'à une parodie déchirante lors du rite de la sorcière. L'originalité de la sonorité et du concept de la Symphonie fantastique, ainsi que le pouvoir soutenu d'intervention surprenante de la part d'un compositeur de 26 ans, ont fait de cette œuvre l'une des plus séminales du siècle. Le traitement expressif sans précédent de l'orchestre, l'humeur allant d'une beauté impalpable du début, à travers de la scène élégante de la salle de bal, la marche ténébreuse vers l'échafaud, et la fin dans un rite démoniaque, ont permis une révolution dans l'art de l'orchestration. Alors que les anciens compositeurs recherchaient des instruments dont le son soit unique afin de présenter de la musique claire et efficiente, maintenant l'orchestre était libre de murmurer, de crier et de hurler comme des démons, si nécessaire. Harriet Smithson n'a pas assisté à la première de l'œuvre qu'elle avait inconsciemment inspirée. Berlioz allégua qu'il avait exorcisé son attraction avec cette symphonie et peu importe, il avait depuis fait la connaissance d'une coquette jeune pianiste du nom de Camille Moke avec qui il devait bientôt se fiancer. Le traité sur l'orchestration qu'écrivit Berlioz en 1844 était le premier dans son genre et il demeure encore parmi les meilleurs. Avec une expression romantique liée à une approche classique, son traité catégorise avec soin les effets émotionnels des couleurs des sons ainsi que des techniques d'orchestration. Finalement, après quatre essais, il remporta le Prix de Rome en composant une cantate suffisamment orthodoxe pour plaire au jury. Le prix impliquait une résidence pendant trois ans à Rome. Il s'y rendit à reculons, mais tout de même avec énervement. Ses longues randonnées à la campagne et les montagnes lui inspireront plus tard des œuvres telles l'Ouverture du carnaval romain et Harold en Italie. À Rome, il fit aussi la connaissance de Mendelssohn. Le jeune allemand trouvait que la personne et la musique de Berlioz étaient trop immodérées à son goût, mais il resta poli comme toujours. Durant son séjour en Italie, Berlioz apprit que Camille Moke l'avait abandonné pour un riche fabricant de pianos. Se jurant de la tuer ainsi que sa complice de mère, il partit pour Paris armé de deux pistolets et déguisé en femme de chambre avec perruque et robe. Alors rendu à Gênes, il se rendit bien compte de l'absurdité de son plan et il rebroussa chemin après avoir écrit les ouvertures King Lear et Le Corsaire. Retournant à Paris en 1832, il organisa un concert où fut présentée la Symphonie fantastique suivie de sa suite, écrite en Italie, appelée Lélio. La salle était remplie de jeunes artistes drapés de manteaux de velours et aux visages pâles et ardents ne demandant qu'à être ébahis. Par pure coïncidence, Harriet Smithson, alors à Paris pour raviver sa carrière un peu faiblissante, y assista. Aussi présent, il y avait le poète Heinrich Heine. Celui-ci se rappela la performance en ces termes: "Berlioz, à la chevelure ébouriffée, jouait les timbales tout en regardant l'actrice d'un visage obsédé et chaque fois que leurs yeux se rencontraient, il frappait encore d'une plus grande vigueur." Ça a marché et, comme pour la plupart des auditeurs, Harriet fut transportée, ensorcelée. En dépit d'elle-même, il commença lentement à répondre aux avances renouvelées. Pendant ce temps, les familles s'opposaient violemment à l'idée de leur mariage. Berlioz la supplia, la demanda et même essaya de s'empoisonner devant elle. Finalement, en octobre 1833, il se marièrent à Paris. Cet événement, et de façon encore plus dramatique qu'à l'usuel, marqua la fin de l'obsession et de la romance. Avec sa carrière en ruine, Harriet devint acariâtre, jalouse et prématurément âgée. Après plusieurs années tempétueuses et un enfant, ils se sont séparés. Berlioz alla vivre avec la chanteuse Marie Recio, mais supporta Harriet jusqu'à sa mort en 1854. Avec la Symphonie fantastique, Berlioz s'est créé une réputation, mais pas une fortune. Il ne pourra jamais s'assurer un mode de vie confortable ou réaliser ses plus grands rêves. Il voulut enseigner au Conservatoire de Paris et écrire des opéras, mais ses détracteurs retardèrent sa nomination (il devint quand même libraire au Conservatoire) et, après que son opéra Benvenuto Cellini ait échoué à l'Opéra de Paris, en 1838, il n'eut aucune autre chance de produire à cette scène avant qu'il ne fut trop tard. À la place, il devint un compositeur à la pige, ayant à gagner sa vie d'une façon qu'il détestait, alors qu'il réussissait assez bien en tant que critique musical pour les journaux. Dans ses articles et ses critiques, il promut la musique de Liszt, Chopin et Beethoven, il s'attaqua au sort cavalier que l'on réservait aux partitions des compositeurs dans les maisons d'opéra, et il fit croisade en faveur des idées musicales progressives en général. Ses écrits sont encore disponibles et sont d'excellentes lectures de référence. Ici et là, sa musique était honorée à Paris, mais dans l'intervalle, il y avait des longues périodes de bataille et d'oubli. À travers l'Europe, il était perçu comme un héros que l'on qualifiera plus tard d'avant-gardiste, mais il demeurait, pour le cercles musicaux de Paris, un ennemi. La musique en France était une affaire forgée par la politique du pouvoir du plus mauvais acabit, un chaudron bouillant d'intrigues, d'alliances et de trahisons. Pour exemple, les événements entourant la première de son monumental Requiem. Il avait longtemps voulu écrire une messe pour les morts et, finalement, il avait obtenu une promesse de contrat de la part du ministre des beaux-arts. Immédiatement, les supporters du conservateur Cherubini, directeur du Conservatoire, ont tiré les ficelles afin de bloquer le contrat. Ils échouèrent et Berlioz se mit au travail avec une furie de créativité, composant l'énorme œuvre dans l'espace de trois mois. Après qu'il eut fini l'œuvre et mis en place tous les dispositifs complexes pour sa production, le ministère annula, sans explication, le concert et crut que Berlioz paierait pour les dépenses déjà encourues. À ce, il leur répondit: "Je vous défie de m'abattre" tout en poursuivant ses propres machinations. Avec le concours d'amis bien placés dans les hautes sphères, le Requiem eut sa chance, en décembre 1837, lors d'une cérémonie commémorative, en la Chapelle des Invalides, pour un général tué en Algérie. Lors de la première, la Chapelle était illuminée de milliers de chandelles; la famille royale, le corps diplomatique et tout le gratin parisien était présent alors que Berlioz avait obtenu des effectifs babyloniens pour l'exécution: 190 instrumentistes, 210 choristes en plus de quatre chœurs de cuivres placés dans les coins de la chapelle ainsi que seize tambours: assez pour faire du bruit pour éveiller les morts. Lors de l'exécution, Berlioz était assis juste au côté du chef d'orchestre dans le but de prévenir tout acte ultime de sabotage, et tel que pressenti, il survint: au moment critique, juste avant l'éruption apocalyptique des cuivres dans la Tuba mirum, le chef d'orchestre déposa délibérément son bâton et pris un pincée de tabac à priser. Berlioz sursauta et, marquant la mesure, les cuivres firent leur entrée à temps. Sa détermination avait remporté la victoire. Le Requiem lui gagna une acclamation immense de la part des critiques ainsi que de la part du public. À la fin, son triomphe changea peu de choses. Ses détracteurs continuèrent leurs campagnes contre lui et, plus souvent qu'autrement, ils gagnaient. Pendant ce temps, à l'étranger, sa réputation grandissait et principalement en Allemagne où Liszt et Schumann menaient une croisade en sa faveur. Débutant dans les années 1840, Berlioz fit une tournée en Allemagne, en Italie, en Autriche, en Hongrie, en Angleterre et en Russie où il dirigeait sa musique, le plus souvent, très applaudie. Lors d'un concert à Paris, en 1844, il dirigea l'orchestre et le chœur de ses rêves: un groupe d'au-delà de mille personnes et nécessitant l'utilisation de sept assistants-directeurs. Les caricatures de l'époque le dépeignirent tel un aigle décharné survolant un orchestre composé de milliers de personnes et incluant une artillerie lourde; ce n'était pas loin de la réalité. De 1856 à 1858, il travailla à son œuvre la plus ambitieuse, l'épopée opératique Les Troyens qui dure environ six heures. Le manque d'énergie, de support financier et de chance, ajouté à l'astuce que Wagner produirait son drame musical, Berlioz se battit pendant des années pour produire son œuvre sans grand succès. Finalement, la seconde partie sera modestement produite en 1863 et obtint un maigre succès. Épuisé par les combats incessants qu'il menait alors qu'il luttait aussi contre le supplice d'une névralgie intestinale, il répondait aux auditoires venus pour assister à l'opéra "Ils s'en viennent, je m'en vais." Son chant du cygne fut le petit opéra comique Béatrice et Bénédict, joyeux, lyrique, plein d'espoir, complètement ravissant, en somme, tout ce que Berlioz n'était plus. Il réussit à en diriger une brillante première à Baden-Baden, en Allemagne, en 1862. La même année, sa femme, Marie Recio meurt (il l'avait épousé après la mort d'Harriet); et, cinq ans plus tard, la mort de son fils, à la Havane, a réussi à effacer le peu de joie qu'il lui restait dans la vie. Il vécut comme un reclus à Paris jusqu'à sa mort, à l'âge de 66 ans, le 8 mars 1869. Dans l'espace de quelques années, tout le gratin parisien qui l'avait jusqu'alors boudé, en fit virtuellement un dieu. Berlioz n'a pas écrit d'oeuvre importante pour la musique de chambre ni pour le piano; tout ce qu'il a fait était des œuvres à caractère gigantesque. Partiellement à cause de cette extravagance, Berlioz demeure l'un des compositeurs les plus controversés du dix-neuvième siècle. |