L’église
À la périphérie ouest de l'Arrière-Kochersberg, sur un site dont la valeur stratégique avait été remarquée sans doute dès l'époque romaine, fut construit un monastère du VIe siècle. Celui-ci fit place à une grande abbaye bénédictine au VIIIe siècle sous l'impulsion de l'abbé Maur qui donna son nom à la localité (Maursmunster). Cette abbaye se dota d'un grand territoire et fit de Marmoutier un foyer de rayonnement spirituel dont le destin resta lié à celui de l'abbaye jusqu'à la Révolution.
Même s'il ne fut jamais indépendant politiquement et économiquement de la ville épiscopale de Saverne et de Wasselonne, ce chef-lieu de bailliage vécut très prospère à l'intérieur de ses remparts jusqu'à une période de déclin liée au sort des propriétaires de la ville au XIIIe siècle. Mais au XVIIe, les guerres remettaient en évidence la valeur stratégique de la ville qui vit ses fortifications renforcées et, à la même époque, le roi de France accordait ses faveurs à l'abbaye. La Révolution mit fin à la puissance de l'abbaye par la vente de ses biens. Par la suite, au XIXe et surtout au XXe, Marmoutier sut profiter de sa situation de passage et se développer au lieu de devenir une banlieue industrielle de Saverne.
L'abbaye de Marmoutier connut une période de renouveau après avoir adhéré à la réforme de Hirsau vers 1133. Elle se manifesta par la construction entre 1140 et 1150 d'une nouvelle abbatiale dont subsiste le massif occidental roman très imposant dans la tradition carolingienne et ottonienne. Il se compose d'un porche flanqué de deux tours et débouchant sur un vestibule ouvert sur la nef au-dessus duquel se trouve une chapelle dont la travée centrale est surmontée par une tour carrée faisant pendant aux deux tours de la façade. La nef avec ses quatre travées barlongues tout comme ses bas-côtés sont voûtés d'ogives et correspondent à une interprétation locale du vocabulaire gothique fourni par Strasbourg. Ils furent réalisés avec le transept, en plusieurs étapes, de 1225 à 1290. Ce dernier subit diverses modifications aux XIVe et XVIIIe siècles.
Lors d'une nouvelle ère de prospérité au XVIIIe, le choeur actuel fut bâti, première expression du néo-gothique en Alsace, il remplaça, à partir de 1761, le choeur ancien du XIIIe. À l'intérieur, on admire surtout les autels baroques dans le transept, le vitrail du Sacré-Coeur par Danegger (1767) et les exceptionnelles stalles et boiseries de style Louis XV du choeur (1770).
L’orgue
De tous les orgues Silbermann, celui de Marmoutier est le plus proche de l'esthétique parisienne autour de 1700, celle qui a suscité les livres d'orgue de François Couperin, de Nicolas de Grigny et de Louis Marchand, pour ne citer que les plus connus. C'est le seul témoin conservé de la première période créatrice d'Andreas Silbermann, où le maître était encore très marqué par son séjour chez François Thierry, « facteur d'orgues du Roy » à Paris. C'est également à Marmoutier qu'on lui donna, pour la première fois, la possibilité de réaliser un « grand huit-pieds » à la manière parisienne, même s'il y subsiste des atavismes de la facture locale comme la pédale basée sur le 16 pieds ou les pavillons en fer blanc des Trompette et Clairon du grand-orgue.
Le marché fut signé en 1707 avec l'abbé Moser, mais les travaux durèrent jusqu'en 1710. Silbermann faillit d'ailleurs y laisser la vie, un ouvrier ivre lui ayant donné un coup d'herminette. Conformément au contrat, l'orgue ne fut pas entièrement achevé (2 claviers et 20 jeux), des chapes restant libres pour des jeux supplémentaires, selon une pratique assez courante chez Silbermann, du moins à ses débuts. Ce n'est qu'en 1746 que son fils Johann Andreas compléta l'instrument, plaçant 4 jeux neufs à la pédale, un Cromorne au positif et un sommier d'écho de 5 jeux. Ce dernier, plaça une soufflerie neuve en 1755 et effectua des réparations en 1765 et 1772 alors qu'en 1767, il nettoya l'orgue empoussiéré à la suite des travaux de construction du nouveau choeur.
Juste avant la sécularisation (1789), l'orgue a été déplacé, par un facteur inconnu, d'une tribune dans le transept sud à une nouvelle tribune au-dessus du portail occidental. D'abbatiale, l'église devint paroissiale à la Révolution. En 1805, malgré les convoitises de la paroisse Saint-Jean de Strasbourg, l'orgue resta à Marmoutier suite à un refus de la part du maire. Les habitants, qui vivaient en grande partie de la présence de l'abbaye au XVIIIe siècle, devinrent assez pauvres au siècle suivant et ne purent subvenir aux « indispensables « transformations. La famille Wetzel s'en tint donc à un entretien courant (1872, 1882, 1887, 1889, 1930, 1936); seul le Nazard du positif fut décalé en Flûte 4 et la Tierce disparut, peut-être en paiement d'un accordage. En 1915, en plus de l'installation d'un nouveau pédalier, les tuyaux de pédale furent placés en hauteur pour donner plus de place à la chorale, ce qui fut désastreux sur le plan visuel mais assez favorable sur le plan acoustique.
Grâce à cette relative pauvreté, c'est donc un orgue très délabré mais presque intact que trouvèrent quelques jeunes amateurs, en 1954, lorsqu'ils fondèrent une association pour la restauration du vénérable instrument. Ils parvinrent à leurs fins dès l'année suivante, en 1955, où l'orgue fut restauré par Alfred Kern et Ernest Mühleisen. L'orgue ainsi restauré fut inauguré le 16 octobre 1955.
La restauration: une Tierce neuve fut placée au positif, les corps vermoulus de la Flûte 16’ et de la Bombarde furent remplacés par des copies plus ou moins fidèles, les Flûte 16’ et 8’ de la pédale qui étaient toujours tirées furent munies de tirants, et l'étendue de la pédale fut portée de 25 à 27 notes, sur le conseil d'Albert Schweitzer. Cette restauration, aujourd'hui critiquable sur certains points mais exemplaire pour l'époque, a permis de sauver un des orgues historiques les plus précieux de France, universellement reconnu comme un chef-d'oeuvre de première importance. Mais curieusement, cette restauration a eu plus d'impact à l'étranger que dans une France encore dominée par le mouvement néo-classique et peu soucieuse de l'orgue ancien. Ainsi, les enregistrements de l'organiste américain Neville Smith en 1956 firent connaître l'orgue de Marmoutier jusque Outre Atlantique, où il servit plusieurs fois de modèle dans le mouvement de renaissance de la facture d'orgue aux États-Unis, alors que la facture française en général et alsacienne en particulier a mis plus de 10 ans pour accepter cette leçon de perfection des Anciens.
La partie instrumentale a été classée « monument historique » le 24 septembre 1971 alors que le buffet l'a été le 6 décembre 1972.
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The church
Near Kochersberg, on a site valued for its strategic location ever since the Roman era, a monastery was built in the 6th century. In the 7th century, under Abbot Maur’s impetus, it was replaced by a large Benedictine abbey. The city adopted his name and it became known as Maursmunster. The abbey acquired a large territory and became an influential spiritual center until the Revolution.
Even if it was never politically nor economically independent from the episcopal cities of Saverne and Wasselonne, this administrative center was prosperous within its city walls until a period of decline due to owners of the city in the 13th century. But in the 17th century, wars brought out the strategic position of the city. The fortifications were reinforced and, at the same time, the King of France granted his favours to the abbey. The Revolution put an end to the power of the abbey by selling its assets. In the 19th and mainly in the 20th century, Marmoutier took profit from its traffic position and flourished instead of becoming an industrial suburb of Saverne.
The abbey experienced a revival period after adhering to the Hirsau reform around 1133. It was followed, between 1140 and 1150, by the construction of a new abbey of which remains the very imposing Roman western section built according to Carolingian and Ottoman traditions. It includes a porch flanked by two towers and leading to a vestibule opening to the nave and over which there is a chapel whose central bay is topped by a square tower matching the two façade towers. The nave with its four diagonal rib vaulted bays and aisles correspond to a local interpretation of the Gothic vocabulary supplied by Strasbourg. They were built, along with the transept, in many stages, between 1225 to 1290. The transept was modified in the 14th century and again in the 18th century.
During a new prosperous era in the 18th century, the actual chancel was built, the first Neo-Gothic example in Alsace. From 1761, it replaced the old 13th-century chancel. The interior is renowned for its Baroque altars in the transept, the Sacred-Heart stained glass window by Danegger (1767) and the exceptional Louis-XV stalls and panelling in the chancel (1770).
The organ
Of all Silbermann organs, the one in Marmoutier is the closest example of the Parisian aesthetics around 1700, the one that led to the production of organ books by François Couperin, Nicolas de Grigny, and Louis Marchand to mention only the most famous. It is the sole preserved witness from Andreas Silbermann’s first creative period when he was still very much influenced by his stay in the workshop of François Thierry "King’s organbuilder" in Paris. It is also in Marmoutier that he was given the opportunity to build a “large 8-foot” Parisian-styled instrument, even though there are atavisms in local organbuilding practices like pedal based on a 16-foot or sheet iron resonators on Grand-Orgue Trompette and Clairon.
The contract was signed in 1707 with Rev. Moser but the construction lasted until 1710. Silbermann was nearly killed when a drunk worker hit him with an adze. According to the contract, the organ was not entirely completed (2 manuals and 20 stops), toe boards were left free to accommodate additional stops, according to Silbermann’s normal practice, at least in his earliest works. The instrument was completed only in 1746 by his son Johann Andreas. He then added 4 new stops in the Pedal, a Cromorne in the Positif and a 5-stop windchest in the Echo. In 1755, he installed a new wind system and carried out repairs in 1765 and 1772. In 1767, following repair works in the chancel, he cleaned the instrument.
Just before the secularization (1789), the organ was moved, by an unknown organbuilder, from a gallery in the south transept to a new gallery above the western portal. From abbey church, the building became a parish church during the Revolution. In 1805, despite the wish of St. Jean parishionners in Strasbourg to acquire the organ, it remained in Marmoutier upon the mayor’s refusal to sell. The people, who, in most part, lived from the presence of the abbey in the 18th century, became quite poor and could not pay for the “essential” organ modifications. Members of the Wetzel organbuilding family were restricted to provide maintenance (1872, 1882, 1887, 1889, 1930, 1936); only the Nazard from the Positif was reracked into a 4’ Flûte and the Tierce disappeared, may be in payment of a tuning. In 1915, besides the installation of a new pedalboard, Pedal pipework was installed upright to leave more room for the choir; that move was visually terrible but acoustically favourable.
Thanks to this relative poverty, it is a crumbling but almost intact instrument that young amateurs found in 1954 and went to set an association for the restoration of the venerable instrument. They were successful and the next year, in 1955, the organ was restored by Alfred Kern and Ernest Mühleisen. The restored organ was inaugurated on October 16, 1955.
The restoration: a new Tierce was installed in the Positif, the worm-eaten bodies of 16’ Flute and Bombarde were replaced with more or less exact copies, Pedal 16’ and 8’ Flutes that were always drawn were equipped with drawknobs and the Pedal compass was enlarged from 25 to 27 notes upon Albert Schweitzer’s recommendation. This restoration, which lends itself to criticism according to today’s standards, was exceptional for the time. It allowed to save one of the most previous historical organ in France, and world renowned as a first-rate masterpiece. But curiously, this restoration had more impact outside France where the neo-classical movement was still strong and less preoccupied with historical organs. The Marmoutier organ became known following recordings made by American organist Neville Smith, in 1956. The instrument served as model in the revival organ movement in the United States while it took almost 10 years for the French and Alsatian organbuilding industry to accept this lesson in perfection from ancestors.
The instrumental portion of the organ has been classified “national landmark” on September 24, 1971 while the organcase was classified as such on December 6, 1972.
Grand-Orgue (49 notes)
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Positif de dos (49 notes)
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Bourdon | 16' |
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Bourdon | 8' |
Montre | 8' |
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Prestant | 4' |
Bourdon | 8' |
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Nazard | 2 2/3' |
Prestant | 4' |
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Doublette | 2' |
Nazard | 2 2/3' |
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**Tierce | 1 3/5' |
Doublette | 2' |
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Fourniture | III |
Tierce | 1 3/5' |
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*Cromorne | 8' |
Cornet | V |
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Fourniture | III |
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Cymbale | III |
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Trompette | 8' |
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Clairon | 4' |
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Voix humaine | 8' |
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Écho (25 notes)
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Pédale (27 notes)
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*Bourdon | 8' |
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**Flûte | 16' |
*Prestant | 4' |
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*Flûte | 8' |
*Cornet | III |
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*Flûte | 4' |
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**Bombarde | 16' |
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*Trompette | 8' |
- Légende / Legend:
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| Jeux de / Stops by Johann Andreas Silbermann |
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| Jeux de / Stops by Kern/Mühleisen |
- Autres caractéristiques / Other details:
- Le buffet, construit pour l'orgue Silbermann, date de 1710. Il est en chêne massif et les tuyaux de façade sont en étain d'origine. /
The oak organcase, built for the Silbermann organ, dates from 1710. Tin façade pipework are original.
- Accouplement / Coupler:
- POS/GO (à tiroir, par déplacement du grand orgue et de l'écho / shove, by moving the Grand Orgue and Echo)
- Tremblant: doux et fort / mild and strong.
- Tuyauterie / Pipework:
- coupée au ton / cut to length.
- L'ensemble des tailles est assez étroit, en particulier pour le Plein-jeu /
- Scales are rather small, mainly in the Plein-jeu
- Diapason: 1 ton plus bas que le La à 440Hz / 1 note below A at 440Hz
- Sommiers à gravures, en chêne / Oak slider windchests.
- Transmission / Action: mécanique suspendue d'origine / original suspended action.
- Console en fenêtre / Attached console:
- notes naturelles plaquées d'ébène / ebony plated naturals
- frontons travaillés / finely-worked key front
- feintes sont plaquées d'os / bone plated accendentals.
- Pédalier moderne datant de 1955 / Modern pedalboard dating from 1955.
- Tirants de registres de section carrée avec pommeaux noirs, d'origine / original square drawknobs with black knobs
- Le tirant du Prestant d'écho est neuf mais le pommeau est ancien /
- Echo Prestant drawknob is new but the knob is old
- Les tirants des Flûte 16 et 8 de la pédale ont été placés en 1955 et proviennent de Wetzel /
- Pedal 16 and 8 Flute drawknobs were installed in 1955 by Wetzel
- Les tirants du positif de dos, à gauche au dos de l'organiste, sur une rangée /
- Drawknobs for the back Positif are located on a single row on the left side in the organist's back
- Les étiquettes datent de 1955 / Name plates date from 1955.
- Soufflerie / Wind system:
- un réservoir à plis parallèles, de Wetzel, placé à la même hauteur que les sommiers de pédale /
- an horizontal bellows, from Wetzel, located on the same level as Pedal windchests
- une roue métallique permet d'entraîner les mécanismes de la soufflerie /
- a metal wheel drives wind mechanisms
- À l'origine, 4 soufflets cunéiformes / Originally, 4 cuneiform bellows.
Références:
- Orgues Silbermann d'Alsace, ARDAM, 1991, ISBN 2-909371-01-8
- Orgues en Alsace, volume 4, ARDAM, 1985
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